La question est cruciale : la vitamine D se trouve en grande quantité dans les aliments d’origine animale. Par conséquent, de nombreuses personnes, en particulier celles qui suivent un régime végétarien, souffrent de carences. Des scientifiques ont découvert qu’en modifiant un gène spécifique dans le génome de la tomate, ils pouvaient inciter cette plante à synthétiser et à accumuler cette précieuse vitamine.
Mathilde Fontez, rédactrice en chef du magazine scientifique Epsiloon, discute aujourd’hui d’une avancée remarquable en biogénétique, portant sur l’un des fruits les plus populaires : la tomate.
Modification des tomates pour une meilleure teneur en vitamine D
Mathilde Fontez : Absolument. En général, les tomates n’ont pas de vitamine D, tout comme la plupart des autres fruits. Ce nutriment vital pour notre organisme se retrouve surtout dans des aliments d’origine animale, comme les œufs, la viande et les produits laitiers. Nous en synthétisons aussi une petite quantité lorsque nous sommes exposés au soleil.
Actuellement, environ 1 milliard de personnes dans le monde souffrent d’une carence en vitamine D, que ce soit à cause d’un accès limité à des aliments variés ou en raison de régimes alimentaires excluant les produits d’origine animale. C’est ce qui a conduit ces chercheurs, une équipe internationale dirigée par un centre de recherche britannique, à envisager la modification génétique de la tomate pour qu’elle puisse produire cette vitamine durant sa croissance, et qu’elle en conserve lorsque nous la consommons.
Création d’une tomate génétiquement modifiée
Effectivement, cela a été réalisé grâce à une méthode nommée CRISPR-Cas-9. Cette technique a bouleversé le paysage de la recherche génétique et a été récompensée par le prix Nobel de chimie en 2020. Elle permet d’apporter des modifications ciblées sur des gènes spécifiques. Les scientifiques ont d’abord examiné en profondeur la biochimie de la tomate et ont constaté qu’elle produit naturellement un précurseur de la vitamine D, connu sous le nom de provitamine D3.
Cependant, dans la nature, la plante ne transforme pas cette provitamine D3 en vitamine D. Au lieu de cela, elle la convertit en composés protecteurs. Les chercheurs ont réussi à identifier le gène responsable de ce mécanisme et l’ont modifié pour qu’il favorise la production de vitamine D. Le résultat est concluant : la plante commence à synthétiser cette vitamine sans que sa croissance ne soit affectée.
Les tomates génétiquement modifiées peuvent-elles survivre en plein champ ?
C’est la prochaine phase du projet. Pour l’instant, tous les essais ont été réalisés en laboratoire. Il est essentiel de s’assurer que cette plante, génétiquement modifiée, pourra s’adapter et résister à un environnement naturel. Les chercheurs ont reçu l’autorisation de débuter des cultures en extérieur à partir du 1er juin. Toutefois, il faudra plusieurs années avant d’envisager la possibilité de consommer ces tomates enrichies en vitamine D.
Éthique et enjeux environnementaux des OGM
Cet exploit soulève effectivement de nombreuses questions éthiques et environnementales. Il remet sur le tapis le débat concernant l’autorisation de cultiver et de commercialiser des OGM. Un précédent similaire a eu lieu avec le riz doré, qui a été modifié pour augmenter sa teneur en vitamine A, afin de combattre les carences, tout comme ces tomates. Ce riz a été élaboré en laboratoire en 2000 mais n’a obtenu son autorisation de culture aux Philippines qu’en 2022.
Le débat autour des risques potentiels pour la santé et pour l’environnement demeure très actif. En Europe, la plupart des cultures d’organismes génétiquement modifiés sont interdites par l’Union européenne. Pourtant, la Grande-Bretagne a récemment présenté un projet de loi visant à simplifier la culture et la commercialisation de ces nouveaux OGM, qui, à l’instar de la tomate, ont subi des modifications ciblées. Ce contexte scientifique et environnemental va sans aucun doute raviver les discussions.